Mur d'expression
« La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. »
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Tribune du 12 juin 2025 - De l'importance des pratiques théâtrales pour réveiller la joie du futur
Quelques heures après l’attaque perpétrée par un lycéen à Nantes, le 24 avril dernier, Bruno Retailleau tenait ces propos : "Ce n’est pas un fait divers, c’est un fait de société. ». La violence endémique qui frappe les établissements scolaires et plus largement marque les interrelations de nombreux jeunes, est sans doute un fait de société ; mais la réponse à y apporter ne dépend pas seulement d'un rétablissement de l'autorité.
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On n’a pas suffisamment mesuré les effets à long terme du repli sur soi et de la désocialisation lors des périodes de confinement. L’impact profond et répété des réseaux sociaux, la difficulté croissante de toutes et tous, et en particulier des jeunes, à assumer le regard de l'autre sans passer par le filtre d'un écran, d'une image que l'on a illusion de contrôler, les formes de harcèlement de plus en plus variées et fréquentes qui en découlent et les blessures qui y sont liées, n'ont pas été assez pris en considération.
Le 16 janvier 2024, le président de la République, lors de sa conférence de presse, avait annoncé "l'éducation artistique et culturelle, que nous avons déployée dans nos écoles depuis maintenant un peu plus de six ans, va se renforcer. Comme pour la musique et les arts plastiques, je souhaite que le théâtre devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine".
Ce projet, de fait, n'a pas abouti. Cependant, depuis quelques mois, ce n'est pas un renforcement mais bien un recul de l'éducation artistique et culturelle que nous ne pouvons que constater, résultats des contraintes financières imposées à tous les acteurs qui soutenaient cette politique : l’État et ses services déconcentrés, les collectivités territoriales, les structures culturelles, les compagnies et les établissements scolaires qui souvent abondaient les projets en puisant dans leurs ressources propres.
Certes, le contexte budgétaire n'est pas simple mais on assiste à l'heure actuelle à la fragilisation accélérée de tout un écosystème qui s'était progressivement mis en place au cours des quarante dernières années par des liens renforcés entre le monde de l'éducation et le monde des arts et de la culture. C'est bien un modèle, pour ne pas dire un projet de société dont le cœur est la notion de service public qui est mis en péril, non sans effet sur les pratiques artistiques et culturelles des jeunes, et sur le rôle éminent des enseignants dans cette ouverture.
Penser à reculons, penser que l'on pourrait revenir à un modèle ancien, le modèle des pionniers qui montaient des projets avec leurs élèves, sans soutien financier, sous la forme de clubs par exemple, est sans doute un leurre. Ce serait mésestimer la dégradation du statut des enseignants de ces dernières décennies et les "malaises" qui en ont découlé. Ce serait mésestimer l'évolution du corps enseignant depuis cette ère des pionniers nourris des apports de l'éducation populaire et autrement sensibilisés et formés aux réflexions de l'éducation nouvelle et de ses différents mouvements, à la pédagogie de projet, à la pédagogie du détour et de toute la place que peuvent y prendre les pratiques artistiques et culturelles.
L'engouement des enseignants pour le recours à la part collective du pass Culture, engouement qui paradoxalement a conduit à la nécessité de geler son utilisation pendant plusieurs mois pour des raisons budgétaires, et la place majeure du théâtre dans les projets d'éducation artistique et culturelle qui ont pu être développés grâce à cela sont révélateurs : en menant et développant des projets d'éducation artistique et culturelle en partenariat, nombre d'enseignants ont retrouvé sens et engagement dans leurs actions. Les élèves qui ont bénéficié de ces projets ont compris que l'exigence, au centre des pratiques théâtrales, n'est pas incompatible avec la joie. Plus profondément, ils ont pu renouer avec la joie du futur en retrouvant confiance en eux et aux autres, ils ont pu entrevoir une place possible dans la construction d'un monde à venir qui ne serait pas seulement source d'anxiété.
La jeunesse ne se porte pas au mieux, c’est pourquoi lui donner, par l'École qui s'adresse à toutes et tous, la possibilité de grandir en humanité, est plus que jamais nécessaire et urgent.
L’ANRAT tente de répondre à ce défi et d’entretenir la flamme autant que faire se peut en fonction de ses moyens. En voici quelques exemples.
Philippe Guyard, directeur de l’ANRAT – association nationale de recherche et d’action théâtrale
Tribune du 13 février 2025 - Suite à l'annonce du gel de la part collective du pass Culture
Toute son histoire en France le montre : l’éducation artistique et culturelle est nécessaire à l’enseignement, aux élèves et à leurs parents, aux enseignants et plus généralement aux équipes éducatives. Les gestes d’apprentissage ne peuvent pas être déconnectés des pratiques artistiques du corps et de la voix dans un cadre collectif.
Les décisions récentes, frappant souvent les enseignants les plus motivés, fragilisent davantage un système scolaire déjà mis à mal par les grandes difficultés de recrutement, de formation auxquelles s’ajoutent des démissions croissantes. Les dispositifs d’EAC en France constituent un socle sans lequel il est permis de craindre que l’institution scolaire n’implose.
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Depuis l’annonce du 30 janvier dernier, l’ANRAT a pris le temps de consulter l’ensemble de ses partenaires, enseignants, structures culturelles, compagnies et artistes intervenants, pour faire un état des lieux. Au vu de ces réunions, il semble qu’actuellement la menace pèse aussi sur les enseignements artistiques en partenariat, tête de proue de la présence des arts à l’école. Plus largement, les craintes sur le devenir des projets sont d’autant plus vives que de nombreux autres dispositifs et sources de financement ont été remis en cause voire ont disparu du fait même de l’existence du pass Culture.
Rappelons les faits : la part collective du pass Culture, malgré les réserves que l’on a pu avoir lors de sa mise en œuvre, a élargi l’accès aux arts et à la culture à et par l’école, rencontrant chez de nombreux partenaires artistiques le désir d’accueillir davantage de jeunes et s’inscrivant ainsi dans une longue histoire. Son utilisation massive, la dynamique créée avec les partenaires ont réveillé des besoins tant chez les enseignants que chez les élèves et leurs familles.
La colère, l’immense déception et la grande inquiétude provoquées par le gel de la part collective du pass Culture témoignent bien de l’importance que les pratiques artistiques et culturelles ont prise au sein du système scolaire : l’éducation artistique et culturelle n’est pas un élément accessoire mais le terreau de projets actifs et impliquants pour que les élèves trouvent ensemble du sens à leurs apprentissages. L’engagement des enseignants s’en est trouvé facilité. La part collective du pass Culture est en outre un facteur d’équité à l’échelle nationale au-delà de l’inégalité de l’investissement des collectivités territoriales.
Alors, que faire ? L’absence de perspectives claires au-delà des mois à venir impose à l’ANRAT d’être force de propositions.
Il faut impérativement réfléchir aux conditions de mise en œuvre financière des enseignements artistiques en partenariat, tant pour les interventions d’artistes que pour la rencontre avec les œuvres.
Plus largement, cinq conditions doivent être requises pour que l’expérience vécue par les élèves dans un projet d’EAC soit mise en œuvre de façon satisfaisante :
Devant les difficultés actuelles, que l’ANRAT ne peut que déplorer, nous entendons rappeler notre ambition : que les pratiques artistiques et culturelles soient abordées au cœur même de l’école dans une approche à la fois qualitative et quantitative donnant pleinement sens à l’apprentissage et à l’enseignement. Il ne faudrait pas que des contraintes de gestion circonstancielles reviennent à mettre en péril tout ce qui a été accompli depuis plus de 50 ans et que d’autres pays nous envient.
Le conseil administration et l’équipe de l’ANRAT.
Soutien de l'ANRAT à Thomas Jolly
L'ANRAT - Association nationale de recherche et d’action théâtrale - et les signataires de ce texte apportent leur entier soutien à Thomas Jolly et condamnent toutes les attaques haineuses, les menaces inadmissibles dont il est l'objet.
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Nous croyons à la liberté de création. Nous la défendrons quoi qu’il arrive.
Le travail de création pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 montre le souci de Thomas Jolly de mettre en valeur la beauté et la diversité des formes de culture qui façonnent une France ouverte, festive et soucieuse du partage. En liant indissolublement l'Histoire plurielle de notre pays, les grandes œuvres patrimoniales et les formes de création trop souvent minorées, il a tendu à notre démocratie un miroir joyeux aux aspirations de fraternité et de compréhension mutuelle. Tout en offrant au Monde la beauté sidérante de Paris et des valeurs de notre République.
Les foules ne s'y sont pas trompées. Elles ont retrouvé cette force collective capable de lutter contre toutes les adversités, même celles du ciel et de sa capacité de déluge !
Les signataires de ce texte ont toujours défendu l'initiation au Théâtre dans l'Éducation, dont Thomas Jolly a bénéficié. Tout simplement parce que c'est une école de la vie : à travers les œuvres, on y apprend la compréhension de l'autre et de soi-même, la poursuite inlassable de ce qui rend plus humain, c'est à dire heureux de rendre le monde moins inhabitable.
Dans la période tourmentée qui est la nôtre, il n'y a pas de pire contresens que de violenter celui qui a inventé une fête rassembleuse et plurielle où la France a montré que les talents sportifs et artistiques se conjuguent joyeusement dans la diversité des talents, des cultures et des efforts consentis pour se surpasser.
Jean-Claude Lallias et le bureau de l’ANRAT,
Philippe Guyard, directeur de l'ANRATTexte de présentation de l'ANRAT lu à l'occasion de la célébration de ses 40 ans
L’Anrat existe depuis 40 ans ! OUI !
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Mais d’où vient-elle ?
Son acronyme est parfaitement à l’image de ce qu’elle est : une Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale.
L'ANRAT naît en 1983/84 d'un désir commun d'hommes et de femmes, artistes et enseignants mais aussi responsables ministériels, réunis dans l’esprit militant de l’Éducation populaire pour incarner une certaine idée du théâtre public héritée de Jean Vilar.
L’association affirme alors la place que le théâtre peut et doit acquérir au sein de l'institution scolaire pour être le vecteur d’une double émancipation, celle de l’individu et celle du citoyen, passant par la rencontre des professionnels de l’enseignement et des professionnels du théâtre. C’est ce que l’ANRAT nomme le partenariat.
Il s’agit de mettre en avant les vertus pédagogiques et didactiques de la présence de l'artiste à l'école, il s’agit aussi de revendiquer les bienfaits pour le théâtre de la démarche de transmission.
L’ANRAT, depuis sa création, s’est consacrée à réunir artistes, comédiens, metteurs en scène, élèves, professeurs, inspecteurs, chefs d’établissement, responsables des relations publiques, délégués à l’action culturelle, et tant d’autres, autrement dit tous ceux qui permettent aux élèves de faire du théâtre à l’École et d’aller au spectacle.
Elle favorise l’Éducation par l’Art et, à ce titre, elle accompagne les ministères de l’Éducation Nationale et de la Culture au travers du temps.
Elle a un principe intangible, répétons-le : s’appuyer sur le partenariat entre artistes, enseignants et structures culturelles pour renforcer la place du théâtre à tous les niveaux de la scolarité et plus globalement dans la société.
À la suite de Jean Guilhem, directeur du CRDP de Paris, elle a toujours été présidée par des metteurs en scène : Jean-Charles Lenoir, Jacques Lassalle, Joël Jouanneau, aujourd’hui Emmanuel Demarcy-Mota.
Il faut rendre hommage à ses responsables successifs, Jean-Gabriel Carasso, Jean-Pierre Loriol, Claire Rannou, Marie Stutz et aujourd’hui Philippe Guyard. Fêter les 40ans de l’ANRAT, c’est les remercier tous pour leur engagement sans oublier les membres du bureau et plus largement du conseil d’administration , les adhérents militants car l’ANRAT est avant tout un lieu associatif convivial où l’on pense le théâtre et l’école.
Alors ? Qu’avons-nous fait pendant 40 ans ? Que faisons-nous aujourd’hui ?
Pas les douze travaux d’Hercule mais presque !
L’ANRAT en effet a développé l’initiation pratique au théâtre, par le jeu dramatique, les mises en voix et en espace au sein même des classes ; elle a favorisé la lecture théâtralisée par les élèves devant un public.
Elle a conçu des processus ne séparant jamais faire, lire, voir du théâtre et développer l’esprit critique par le goût du débat et de la réflexion.
Dès 1984, elle a expérimenté les Ateliers de Pratique Artistiques théâtre, puis les classes à Projet Artistique et Culturel, en lien avec la création et la présence d’artistes dans les classes.
Pour cela elle a œuvré aux jumelages, réseaux qui se sont créés sur le terrain entre structures culturelles et scolaires.
Elle a participé à l’expérimentation et à l’installation du baccalauréat Théâtre en favorisant la multiplicité des disciplines associées à ce nouvel enseignement en partenariat.
Depuis,
l’ANRAT, sans oublier le patrimoine, ne cesse de faire découvrir et reconnaitre les écritures contemporaines. Elle participe en particulier à la reconnaissance des auteurs et autrices de théâtre jeunesse.
Avec les associations régionales, elle diffuse et fait partager les pratiques innovantes : petites formes, levers de rideaux, journées de rencontres et de restitution de travaux entre les classes, inventées dans les pays de la Loire.
Avec de nombreuses structures, elle continue à développer une démarche renouvelée d’école du spectateur qui relie l’analyse collective et personnelle des spectacles aux démarches pratiques. Avant et après la représentation, elle favorise l’expression et la créativité des élèves. Plus récemment elle a développé des démarches de dramaturgie active faisant de la lecture une pratique artistique.
Elle entretient et développe les liens avec l’Université et la Recherche pour penser les apports pédagogiques et didactiques des pratiques théâtrales tout au long de la scolarité et dans la formation des artistes, des médiateurs et des enseignants. Un ouvrage est en cours de publication, consacré au partenariat.
L’ANRAT participe à de nombreux festivals et colloques internationaux. Elle ne cesse d’organiser des formations conjointes pour enseignants, artistes et médiateurs, à son initiative ou en réponse à une demande.
Par ses publications et l’ensemble de ses actions, l’ANRAT travaille au renouvellement des outils pédagogiques, conçus en partenariat : il s’agit de penser les enjeux de la révolution numérique en cours pour élargir le cercle des amateurs. C’est à la fois changer la pédagogie dans les classes, donner du sens à des disciplines trop cloisonnées et ouvrir la création à de plus vastes publics.
Alors, l’Anrat du côté d’Hercule ?
Sans doute. Mais nous serions plutôt du côté de Sisyphe, et pourquoi pas un Sisyphe heureux, voués que nous sommes à remettre constamment la main à l’ouvrage pour des générations renouvelées… Notre avenir, notre volonté, c’est de pouvoir creuser davantage encore les chemins tracés.
Nous avons besoin de vous toutes et de vous tous.
Cher adhérent, chère adhérente,
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Pour le quarantième anniversaire de l’ANRAT, je t’écris ces quelques mots personnels, mémoire d’un vieux sage ! Les plus anciens se rappelleront, les plus jeunes découvriront... ainsi va la transmission ! Je me souviens...
Au début, en 1986, ce fut une histoire simple : quelques amis membres de l’ANRAT naissante décident l’organisation d’une première rencontre au Théâtre du Soleil. Ils cherchent un organisateur, je suis disponible. Nous attendions une centaine de personnes, il en vint plus de cinq cents ! Preuve qu’un besoin véritable de rassemblement se faisait sentir. Et c’est au retour du Printemps théâtral de Noirmoutiers, dans la voiture de mon ami Jean-Claude Lallias, que nous décidons de structurer véritablement une association nationale. Mon engagement devait durer deux mois... cela a duré douze ans ! Douze années heureuses, chaleureuses, enthousiasmantes, entouré d’une « bande » solidaire. Je fus le premier « secrétaire général » puis « directeur » de l’ANRAT, de 1987 à 1999.
Je garde de cette période, évidemment, la nostalgie des premiers pas, le souvenir de toutes les innovations que nous avons pu mettre en œuvre, la mise en route des multiples chantiers qui furent autant d’aventures incertaines : les premières Assises nationales au Théâtre de la Colline, les premières éditions de livres chez Actes Sud (Robert Abirached et son histoire de la décentralisation théâtrale, Peter Brook et le Diable c’est l’ennui, Jacques Lecoq et son Corps poétique, Alain Knapp...), mais aussi les colloques d’Avignon (merci Alain Crombecque), les innombrables séminaires, conférences, rencontres ; l’ouverture audiovisuelle, Mémoires de stars, rêves de scène, les films sur Peter Brook Autour de l’espace vide, Jacques Lecoq et ses Deux voyages, Stanislas Nordey et son Théâtre citoyen dans la ville (merci ARTE et Jean-Noel Roy) ; la dimension internationale, la création d’IDEA International drama and education association, les congrès de Porto 1992 (Portugal), de Brisbane 1995 (Australie)... J’en passe ! Ces premières années furent marquées par l’accueil du CRDP de Paris, notre premier bureau, mais aussi et surtout par la bienveillance de Philippe Tiry, directeur de l’ONDA (Office national de diffusion artistique) avec qui nous avons cohabité plusieurs années. Hommage à lui !
L’objectif principal de l’association était double.
D’une part, faire connaître et reconnaitre la nécessité des pratiques théâtre/éducation dans notre pays, le partenariat entre artistes et enseignants, la pédagogie de projet, la nécessité de la formation de tous les partenaires, en explorant pour cela toutes les formes d’action possibles : publications, rencontres, séminaires, stages, colloques, films, université d’été...
D’autre part, mobiliser et rassembler tous ceux qui déjà, sur le terrain, avaient engagé des pratiques théâtrales et pédagogiques innovantes mais se trouvaient, le plus souvent, isolés. Il fallait structurer un mouvement national.
Nous n’y avons pas trop mal réussi malgré les bourrasques et les vents contraires ! Car il y eut des tempêtes, des combats mémorables pour obtenir notamment des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale les quelques subventions indispensables au fonctionnement et au développement des activités. Souvenirs brûlants des innombrables rendez-vous en cabinets ministériels, des tergiversations, des refus, des vrais soutiens, des mensonges... et pour moi, cravate obligatoire !
Au terme de ces douze années, il m’a fallu rendre les armes ! D’autres, heureusement, ont pu poursuivre l’aventure pour parvenir à cette quarantaine ! Bravo !
Le vieux sage se tourne vers le passé et se dit que le bilan est mitigé.
L’aspect le plus positif des combats menés est d’avoir contribué à imposer, au cours de ces années, le thème général de l’éducation artistique et culturelle (cet EAC qui m’horripile !) dans le débat public. Nul ne peut ignorer aujourd’hui cet aspect de l’éducation, quand bien même derrière ces mots bien des conceptions se confrontent. Ce terme généralisant masque trop souvent les spécificités et le sens-même que nous voulions donner au développement des pratiques théâtrales dans l’éducation : un outil véritable d’émancipation individuelle et collective, un élément de transformation profonde des pratiques pédagogiques et non une simple activité dont l’évaluation ne serait que statistique ! Aujourd’hui le « pass culture » relève malheureusement de cet esprit, de manière caricaturale ! Combien d’enfants touchés ?... avant d’être définitivement coulés, selon les règles de la bataille navale !
Autre succès de la quarantaine, me semble-t-il, la mobilisation quasi générale du « monde de la culture », à savoir des structures et institutions culturelles, dans le champ de l’éducation. Le foisonnement des services éducatifs et des programmes d’action en direction des jeunes et des établissements scolaires n’avait rien d’évident il y a une quarante ans. L’ANRAT, avec d’autres bien entendu, a fortement contribué à ce développement.
Mais il faut dire aussi le combat perdu (pour l’instant ?) : la résistance forcenée de l’Éducation nationale à faire une vraie place aux activités artistiques en général, au théâtre en particulier, dans l’espace et dans le temps des activités scolaires. Dans l’architecture, dans les programmes, dans les formations, dans les outils pédagogiques... le « mammouth » résiste toujours, quasi immobile, malgré toutes les propositions qui lui sont faites. La bête est coriace, le système est solide, les ministres sont ailleurs... Quand ils sont quelque part !
Voilà, cher adhérente, cher adhérent, ce qu’en quelques mots je peux te dire aujourd’hui.
J’ajoute que la réussite majeure, et celle-là je n’y suis pour rien, c’est que l’ANRAT existe encore au terme de ces années, ce que nous n’avions évidemment pas imaginé au départ.
Bravo donc à tous ceux qui la font vivre aujourd’hui et mèneront, n’en doutons pas, les combats de demain ! La « bataille de l’imaginaire » est devant nous !
Jean-Gabriel Carasso
(Itinéraire d’un militant de la cause artistique et culturelle)
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Préalable : Ce texte n’a pas pour objet de tenir lieu de contribution au bilan général de l’action de notre association depuis quarante ans… mais juste de rappeler - ou de faire connaître aux adhérents et acteurs d’aujourd’hui - la nature et les enjeux des actions associatives menées de 2000 à 2010, les réussites et les échecs, et ainsi de faire réfléchir aux priorités et aux formes d’engagement pour aujourd’hui. Sur quelle ACTION simple et efficace devons-nous bâtir une revendication efficace pour que les 40 ans débouchent sur un réel renforcement de la présence du théâtre dans l’Éducation nationale…. ?
Il y a eu un avant l’ANRAT : pour l’essentiel la question du théâtre en milieu scolaire a émergé dans les années d’après guerre avec Vilar et le théâtre populaire. Les mouvements de jeunesse voire d’éducation se sont alors emparés du théâtre comme objet d’émancipation et de culture, ce qui a entrainé le développement du jeu dramatique dès l’école élémentaire, tandis que les CEMEA, culture ouverte à tous, s’engageaient, à la demande de Vilar, dans l’accompagnement des publics dans l’esprit et la poursuite des avancées de l’éducation populaire. Pour ne citer que quelques exemples marquants : les formations initiales dans les Écoles normales, portées par quelques enseignants pionniers, ont permis de développer des projets de théâtre dans les écoles, les RITEJ (les rencontres de Lyon, de 1985 à au moins 1997) furent déterminantes. ( voir note 1 en fin de texte)
Et, il y a eu aussi dans le second degré montée progressive d’un désir de théâtre qui passait par des formes de pratique (les clubs théâtre, avec des élèves volontaires) et peu à peu par la recherche encore tâtonnante d’un partenariat d’abord avec des artistes au hasard des rencontres et des affinités, puis progressivement avec des théâtres.
Et puis, en 1983 il y a eu l’ANRAT, une association loi 1901, préoccupée d’éducation artistique et culturelle en général, et plus précisément de théâtre, une pratique artistique collective, qu’elle voulait mettre au service de quelques vertus pédagogiques fondamentales. Dès l’origine elle regroupe en son sein, dans un esprit de partenariat actif, des enseignants (« Les profs ») et des artistes (« Les théâtreux ») . Quarante années d’existence donc à ce jour, et c’est déjà presque un exploit ! Le fait qu’elle soit « soutenue » financièrement depuis tout ce temps, avec une rare fidélité, par les deux ministères de la Culture et de l’Éducation Nationale n’y est sans doute pas étranger.
Malgré cela, et très paradoxalement, elle se distingue étrangement par le fait qu’en dehors d’une poignée d’adhérents et de sympathisants engagés dans des actions de terrain avec les élèves (quelques centaines voire un petit millier en rotation annuelle) peu de gens, dans le monde de l’Éducation et de la Culture la connaissent vraiment, au-delà, et pour un auditoire quelque peu élargi, d’une vague réminiscence de son acronyme un peu abscons. Ah ! oui, l’ANRAT…Qu’est-ce que c’est déjà ? Combien de fois ai-je entendu cela durant le temps où j’ai eu le privilège de piloter l’action associative !
Comment expliquer cette apparente contradiction, sinon par le fait que l’ANRAT a sans doute dès sa naissance, comblé un manque et apporté quelque chose de fondamentalement neuf à la question de la place et du rôle de l’art, et du théâtre tout particulièrement, dans l’éducation et la formation d’un élève (enfant, adolescent) ou d’un étudiant ; que ce quelque chose a été d’emblée reconnu, à l’intérieur des structures ministérielles par un certain nombre de responsables importants et de décideurs avisés comme une avancée novatrice, certes au départ assez modeste mais appelée à jouer très vite le rôle d’indispensable aiguillon de l’évolution de l’éducation nationale vers une intégration régulière des arts et des artistes dans les cursus scolaires… ? MAIS que finalement, cet apport novateur est resté, au fil des ans, relativement confidentiel, maintenu au rayon « expérimentations », et a de plus suscité la méfiance d’une part importante de l’appareil éducatif dans son ensemble, des corps d’inspection aux acteurs de terrain.
Et ceci pour deux raisons fondamentales :
1) Dès sa création, une distinction en effet a paru assez claire : ce qu’il était déjà convenu d’appeler, en ce tout début des années 1980, « l’éducation artistique et culturelle », se différencie sensiblement des canoniques « enseignements artistiques » musique et arts plastiques (ex dessin) hérités de l’Histoire et des « Beaux-Arts » . Ces enseignements concernaient alors essentiellement le second degré, les élèves des collèges, et peu à peu ceux des lycées sous leurs formes d’ « enseignements de spécialités ». Des concours d’accès au professorat de musique et d’arts plastiques (CAPES et Agrégation) verrouillant le dispositif, complété assez tardivement, et sous la pression des acteurs de terrain, par des certifications complémentaires notamment en théâtre, qui validaient et légitimaient pour les lycées ces enseignements élargis sous la forme raréfiée d’options « facultatives » ou « obligatoires ».
C’est donc dans le second degré (collèges, lycées, quelques rares ouvertures universitaires) que démarre dès l‘origine l’action associative, et l’essentiel de l’histoire de l’ANRAT s’inscrira dans ce cadre, avec… un grand absent, conséquence sans doute de la séparation historique entre les degrés d’enseignement de l’école française, absence qui va d’emblée fausser quelque peu l’action associative : l’ANRAT, malgré l’envie très forte qu’elle en avait ; malgré des ouvertures et des apports ponctuels d’enseignants du premier degré, n’a jamais pu - ou su - trouver le chemin de l’école primaire, à quelques rares exceptions notables !
Il aura d’ailleurs fallu attendre les années 2000 – 2002 et le premier plan national pour l’EAC, dit plan « Lang/Tasca », pour remettre les choses à leur juste place avec la création des classes à Projets Artistiques et Culturels qui ont pour la première fois donné un cadre officiel à l’EAC en écoles primaires, cadre qui était destiné progressivement à concerner tous les élèves)
2) Cette quasi absence, à tout le moins cette insuffisance de travail associatif en premier degré, fut à n’en pas douter un handicap, peut-être une faute, mais dont elle ne pouvait en aucun cas endosser la responsabilité, car L’ANRAT n'a jamais eu les moyens ( ni financiers , ni humains , ni surtout les "entrées", ni les aides et autorisations officielles etc.) pour se faire connaitre de la masse des enseignants du premier degré.
L’action des premiers adhérents / militants « anratiens » s’inscrivait dès lors pour l’essentiel dans le champs des disciplines, des programmes, des horaires, c’est-à-dire dans le moule général des d’enseignements disciplinaires en second degré, sans aucun lien apparent avec les autres «matières », l’ensemble constituant une quantité de savoirs plus ou moins hétérogènes à assimiler année après année, et, s’agissant des champs artistiques enseignés, sans - sauf exceptions notables -, implications personnelles dans des démarches sensibles et concrètes d’apprentissage, sans laisser de traces visibles sur la formation des sujets apprenant et sur le renforcement de leurs capacités cognitives autres que celles relevant de la seule approche abstraite des savoirs, sans développement de leur sensibilité artistique et d’une manière générale sans le moindre rôle quant à la réduction des fractures culturelles qui allaient en s’élargissant années après année ;
C’est donc a contrario de ces modèles d’apprentissage que l’ANRAT a défendu, depuis quarante ans, une découverte et une pratique directes et concrètes de l’art théâtral, inscrites au cœur des processus éducatifs et qui se caractériserait fondamentalement par une transversalité, une pluri disciplinarité, une pédagogie de projet plutôt que de programmes, un contact réel et pratique avec les arts sous la forme de partenariats diversifiés, une fréquentation préparée et suivie des œuvres, bref par la mise en exergue de nouveaux objectifs pédagogiques, éducatifs et sociétaux, qui seraient intégrés aux cursus communs, dès l’école primaire, dans une visée de développement personnel et collectif.
Et ce pour le plus grand nombre possible d’élèves.
Ce qui en 2000, quand on me confie la responsabilité de l’association est encore loin d’être le cas…et ne l’est d’ailleurs toujours pas de façon satisfaisante, malgré quelques avancées partielles au fil des ans, en 2023 !
Des résistances structurelles, « systémiques », essentiellement au cœur même de l’éducation nationale, plus encore que des considérations budgétaires ont freiné – si ce n’est parfois empêché – le saut quantitatif qui aurait permis de passer d’’une multitude de projets enthousiasmants qui ont émergé très régulièrement, tout au long de ces quarante années, dans tous les coins du pays, mais épars, fragiles dans leur mise en œuvre, éphémères parce que dépendant essentiellement de l’énergie admirable de leurs concepteurs et maitres d’œuvre, à une généralisation pourtant reconnue depuis le début - y compris par les autorités de tutelle, comme une priorité absolue…
Ce mouvement de revendication autour d’une conception nouvelle du rôle et de la place des arts en système éducatif a donc commencé significativement dans le second degré. Il s’agissait en fait d’élargir à l’ensemble des champs artistiques une présence des arts dans l’École, en tant que « pratiques » (du théâtre, de l’image, de la photographie, de la danse...) dans un double objectif pédagogique, à la fois cognitif sur le terrain des acquisitions de connaissances, et éducatif au sens large afin de lutter concrètement contre la « fracture » culturelle de plus en plus constatée entre des cultures populaires de consommation et les cultures dites « savantes » ou patrimoniales, objets de savoirs dans l’école et appropriation plus ou moins directe des enfants des seules classes privilégiées. Et sur le plan strictement artistique, par la pratique formatrice et émancipatrice d’un art, associée à la fréquentation régulière et éclairée de ses formes professionnelles. L’expérience artistique devait cesser de n’être qu’au service, caricaturalement, de la reproduction des conduites et des privilèges de classes. Elle devait entrer en force dans l’École et se mettre au service de la formation générale de tous les élèves, de tous les futurs citoyens, et ce le plus tôt possible.
Cette ambition a valu à l’ANRAT de susciter dès sa naissance autant de méfiance, rejets, critiques, anathèmes qu’elle n’a soulevé d’enthousiasme et d’adhésion et d’espérances chez les acteurs de terrain et chez un petit nombre de responsables du monde de l’éducation et de la culture, qui l’ont portée à bout de bras depuis les fonts baptismaux.
En septembre 2000 avec, je tiens à le rappeler ici, le soutien actif de deux militants institutionnels qui ont joué un rôle essentiel dans l’histoire de notre association, Jean Bénézech et Michel Zanotti, il me revint donc d’en assumer l’animation sous le titre de « délégué national » que j’avais moi-même proposé au conseil d’administration de ces années-là. Il flottait alors dans l’air une méfiance certaine pour le titre un peu ronflant de directeur.
Je quittai ces fonctions fin 2009
Quel bilan puis-je tirer de ces presque dix ans d’engagement associatif ? Nos choix d’alors ont-ils peu ou prou contribué à faire avancer l’éducation artistique et le théâtre vers une reconnaissance officielle un peu moins discrète, ou si l’on veut un peu plus efficiente ?
Je voudrais ici en rappeler brièvement les grandes étapes, peut-être dans l’espoir qu’elles inscrivent dans une mémoire active le sens général d’une action associative toujours en mouvement.
3) Quelle politique et quelle action ?
L’éducation artistique et culturelle est d’emblée pour moi un projet essentiellement politique, au sens où le rôle principal de l’association est de verser son expertise, ses actions, ses recherches au pot commun des initiatives individuelles et collectives de profs et d’artistes engagés et militants, qui œuvrent dans toute les coins de France à l’avènement d’une culture théâtrale en prise directe avec les réalités du plateau pour aller, grâce à des exemples significatifs et des recherches probantes, vers une généralisation progressive pilotée par l’État, destinée à l’ensemble du système éducatif.
Ce mouvement en effet était né d’initiatives de terrain, individuelles et/ou associatives, relayées et encouragées dès l’origine par quelques hauts responsables éclairés au sein même de l’institution (Éducation ET Culture). Des actions, des initiatives inscrites dans des classes, des établissements scolaires et des théâtres, donnaient à observer de façon concrète ce que signifiait ce surgissement de la dimension artistique au sein des processus d’acculturation. Mais en dépit des constats positifs innombrables qui suivaient ces engagements enthousiastes, ces expérimentations parfois magnifiques des enseignants comme des élèves, cette ouverture nouvelle a bien entendu, rencontré d’emblée les pires oppositions, de nature à la fois corporatistes, idéologiques, budgétaires et structurelles.
Ce raidissement institutionnel qui perdure encore aujourd’hui avec mille nuances et sous une variété infinie de leurres d’une hypocrisie consommée, a fini par transformer les enseignants qui s’y risquaient en « militants », ayant vocation à le demeurer, et à rester très minoritaires et marginaux au sein du système éducatif...comme je le fus moi-même, douze années durant, avec mes élèves du collège Victor Hugo d’Aulnay-sous-Bois (93).
En 1986, après avoir des années durant conduit une pratique théâtrale avec mes classes j’avais adhéré à l’association, rejoignant quelques poignées d’autres défricheurs séduits comme moi par le beau raccourci de « théâtre/éducation », qui disait mieux l’ambition de l’ « ANRAT »
Un peu plus de dix ans plus tard son premier animateur et directeur, bien loin d’avoir démérité, venait de la quitter, peut-être sur un coup de lassitude, un peu à la surprise générale. Son remplaçant provisoire, qui gérait les affaires courantes, ayant fait savoir que son travail n’allait pas tarder à s’achever, l’association se trouva bientôt sans direction. Elle se trouvait aussi dans un de ces moments de flottement qui peuvent signer son « arrêt de mort » ou bien constituer l’occasion d’une sorte de renouveau. On me sollicita. On me dit que ce serait parfait pour poursuivre mon activité théâtrale et en même temps être utile au collectif. J’avais le « bon profil », ancien prof, ayant tâté de la mise en scène, animateur, connaissant les deux administrations....esprit militant. J’acceptai !
En septembre 99, je fus « Mis à Disposition » de L’ANRAT, - il est vrai que ce statut de MAD n’avait pas encore été liquidé par l’administration de l’EN, mais déjà à l’époque il ne s’accordait plus qu’au compte-goutte - après que j’aie moi-même négocié mon poste (avec l’appui du recteur de Créteil) auprès du conseiller ministériel (Education nationale) en charge des affaires culturelles et artistiques. M. Michel Oriano, qui, m’ayant convoqué à un entretien, avait d’évidence « pris ses renseignements » sur moi et, très attentif à mes motivations, m’interrogea longuement sur mon travail à Créteil. Je pensais qu’il voulait préparer un refus, il n’en fut rien et il décida que le poste destiné à l’ANRAT serait « abondé par la centrale », le « mien » restant à Créteil, afin de permettre mon remplacement, sans réduire ses moyens, dans le service de l’action culturelle rectorale. Je ne coûtais rien à l’association. C’était ce que je désirais pour ne pas me retrouver dans la situation, budgétairement contrainte, de mon prédécesseur. On allait pouvoir travailler !
Je commençai par rechercher, en compagnie de Jean-Claude Lallias, un nouveau président qui fût à même de porter l’étendard associatif au plus haut niveau des sphères décisionnaires (et financières). Mais il fallait aussi que ce fût un homme de conviction... Or j’avais eu l’occasion de côtoyer cet homme-là lors de mes projets à la MGI, et je pensais que Jacques Lassalle serait pour l’ANRAT le meilleur choix possible. Jean-Claude partageait totalement cette conviction. Fallait-il encore que l’intéressé le veuille bien...Nous prîmes rendez-vous et, sans trop de peine, nous l’avons convaincu d’accepter notre proposition. Il nous dit simplement « Attention, ce choix vous oblige autant qu’il m’oblige ». Cela nous allait bien ! La route était ouverte pour inventer et lancer une opération résurrection, après plus d’une année de silence et de repli associatif , et ce fut le grand rendez-vous du Creusot, à l’ARC, la scène nationale de la ville. Deux jours durant, et tous frais payés, plus de trois cent personnes se retrouvèrent, étonnées et ravies, dans cette ville ouvrière et laborieuse (que beaucoup ne situaient pas clairement sur la carte de France, ou plaçaient dans le Forez du coté de Saint-Etienne...) à la suite de quoi chacun et chacune, croyant, avant cette redécouverte, que l’ANRAT n’existait plus, repartit dans sa ville ou sa campagne le moral regonflé et le désir enfin retrouvé de faire repartir la vieille machine. Une seconde priorité devait définir mes engagements. J’avais pris le temps dans les premières semaines de mon mandat d’aller rencontrer des adhérents des régions (on disait encore « de province »), afin de prendre leur « pouls », de les écouter, d’écouter leurs griefs (nombreux) à l’encontre d’une association bien trop « parisienne » à leur goût, qui « décidait de tout », « d’en haut », qui n’avait aucune idée du « terrain » etc. J’eus alors la conviction que la vraie relance passerait par toute une série de rencontres régionales rassemblant le plus largement possible tous ceux, adhérents ou pas, en poste dans les administrations de la Culture et de l’éducation nationale, corps d’inspection, responsables culturels, directeurs d’établissements scolaires, directeurs de théâtre, et surtout enseignants, artistes, médiateurs etc. tous ceux et celles qui travaillaient, souvent dans un isolement mortifère, à cet avènement d’une éducation artistique et théâtrale pour le plus grand nombre. Le Conseil d’administration valida cette orientation, et en six années, toutes les régions - à l’exception de la Corse et du Limousin - virent se dérouler une « Régionale », appelée par les uns « une grand’ messe », par les autres « une relance nécessaire » ou même « un sursaut salutaire » mais qui pour tous constituait avant tout la preuve que « l’Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale » existait à nouveau au plan national et avait retrouvé une visibilité prometteuse. Chaque rencontre était enthousiasmante. Le président Lassalle y faisait des interventions remarquées (et remarquables), les intervenants des débats et tables rondes travaillaient pour la plupart à des communications de grande qualité, et pointaient la réalité méconnue de toutes les actions menées par les équipes enseignantes en partenariat avec les théâtres, CDN, scènes nationales et théâtres de ville, les personnes importantes pour le développement de l’EAC dans chaque région participaient, promettaient, s’engageaient... On sortait de là exsangues et euphoriques ! Dans la foulée des régionales des « groupes – ANRAT » locaux, départementaux ou régionaux commencèrent à se mettre en place, se réunissaient, programmaient des actions, soutenaient et enrichissaient des projets, rassemblaient des sympathisants etc...Nous étions vraiment très optimistes, la « petite » ANRAT ne travaillait pas pour rien…Mais, sous l’apparente unanimité, devant les succès répétés de ces rencontres, tout n’était pas si simple... Ceux qui m’avaient d’abord dit, Cassandre professionnels, « mais tu ne trouveras jamais les moyens nécessaires en Régions pour de telles réunions !», furent les mêmes que ceux qui s’opposèrent en réalité aux conséquences logiques de ce mouvement de régionalisation : comme il commençait à se créer, encore timidement mais partout, des associations locales ou régionales, l’association nationale devrait peut-être se transformer en fédération d’associations...L’horreur ! Les fondateurs n’en voulaient pas ! Et ils n’en voulurent pas. Certaines associations locales « historiques », en pays de Loire, antérieures même à la fondation du groupe national, avaient ouvert la voie, elles comptaient d’ailleurs plus de membres que « l’ANRAT parisienne »… Qu’importe ! Ces associations départementales avaient pourtant été « modélisées » à Paris comme on chante les louanges d’un bon vieux vin du Val de Loire… Qu’importe ! Une opposition sourde commença à se manifester en interne, qui peu à peu se mit à déstabiliser et fausser le sens même des régionales...Fini la sérénité… D’obscures considérations « tactiques « ou « stratégiques » que je ne mesurais pas très bien commençaient à m’étouffer un peu et avec moi la petite équipe permanente qui assumait en réalité l’essentiel du travail associatif...Avec l’accord du Président nous avons cependant poursuivi le mouvement des « régionales » même si je voyais bien que les embryons de groupes ou d’ associations régionales, sans lien organique vital avec la « maison mère », allaient finir par se dissoudre ou disparaître faute ...de raisons et de moyens d’existence. Et c’est ce qui a fini par se réaliser. A la fin du cycle, nous avons malgré tout produit un bilan de ces actions, qui aujourd’hui encore, je crois, porte des éléments d’information et de réflexion toujours d’actualité…
Mais c’est une grande difficulté au sein des associations : comment se fait la « passassions des acquis » ? Comment conserver une mémoire active de tout ce qui a été fait par celles et ceux qui ont un temps constitué les forces vives et actives de l’association ?
Je me souviens d’un petit incident lors de la rencontre du Creusot : à une question, déjà mille fois débattue depuis des années, que posait une participante pourtant adhérente de longue date, Robert Abirached, alors en tribune, avait « tonné » de sa voix de stentor « Mais mais mais… pardonnez-moi, c’est une question résolue depuis longtemps madame, il faut lire et rester informée sinon… ». Bien sûr, juste après, il s’était excusé de son emportement, mais sur le fond il avait soulevé une vraie difficulté : une association ne peut pas vivre de la seule impulsion de ses « permanents » ou de son conseil d’administration ; chaque adhérent doit se sentir comptable de son devenir et de son rayonnement, en s’appuyant sur les informations et réalisations passées
Je cherchai avec l’équipe un autre chemin pour parvenir aux objectifs qui étaient aussi ceux des « régionales » et nous avons lancé alors l’idée de la création d’un Forum Permanent pour l’Éducation Artistique (FPEA) en sollicitant de toutes parts et dans tous les champs artistiques, toutes les forces qui, comme l’ANRAT, travaillaient à l’établissement d’une EAC pour tous, des plus importantes comme la Ligue de l’enseignement, aux plus modestes, comme « Danse sur cour », sans aucune exclusive… Une alliance à grande échelle qui eût permis de constituer cette fois un mouvement puissant et novateur. Après des débuts prometteurs et cette fois potentiellement aptes à infléchir les politiques nationales d’EAC, les querelles de méthodes et d’objectifs, les habitudes passées du chacun pour soi , les méfiances des uns sur les autres, finirent par épuiser les premiers enthousiasmes, et tout s’effondra au détour d’une méchante suspicion des « gens de cinéma », persuadés que « les gens de théâtre » et de « spectacle vivant » leur bouffaient méchamment les subventions sur le dos ! Impossible unité ! Impossible organisation ! Il fallait encore défricher...
Les Régionales, presqu’achevées, avaient besoin malgré tout de l’énergie que donne un nouveau rassemblement national pour se relancer. Elles furent couronnées par la grande rencontre nationale à Nantes, sensée en outre mettre la pression sur les responsables Ministériels de ce temps-là …Il y eut beaucoup de monde à Nantes où il ne pleuvait pas, quatre théâtres nantais avaient prêté leur concours à la MCLA, principal organisateur, et son valeureux directeur, Philippe Coutant, grâce à qui nous avions en fait pu monter toute l’opération...Le dernier jour, au moment des derniers discours des « autorités politiques » du moment, et alors que l’ensemble de la manifestation avait été plutôt de bonne tenue, catastrophe ! On siffla copieusement le DGESCO ! (directeur général des enseignements scolaires) venu prononcer le discours de clôture. Il avait ressorti le vieux mistigri - la vieille provocation - que d’aucuns avaient dû traitreusement glisser dans son texte : l’ajout des salaires et des retraites des profs d’arts plastiques et de musique, aux moyens dédiés à l’éducation artistique par le ministère, pour parvenir à un chiffre astronomique « démontrant » que « L’Etat faisait déjà beaucoup » « qu’il n’était pas possible de faire plus… » etc. Ces sifflets malvenus ruinèrent d’un seul coup tous les efforts entrepris ! L’Anrat était à n’en pas douter un repère de gauchistes dirigé par un agité du bocal...
Il fallait tenir, malgré tout ! Un peu plus tard, à l’occasion de la crise des intermittents du spectacle, nous avons organisé la Grande réunion du Théâtre du Rond-Point avec, au centre des débats, mis au point cette fois avec l’indispensable complicité active de Thierry Pariente, proche conseiller du ministre de la culture de l’époque, la reconnaissance de 120 heures de travail artistique en partenariat pour les artistes engagés aux côtés des enseignants, et pouvant être intégrées aux 507 heures nécessaires à l’ouverture de leurs droits. Riches et suivis par énormément de monde (la grande salle du Rond-Point était pleine) les débats portèrent essentiellement - mais non exclusivement - sur cette question des heures reconnues « statutaires » pour les artistes intervenants ! Un panel de personnalités et d’interventions de haut niveau, des hauts responsables, un ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabre, - aussitôt renommé Vabre d’Eglantine par l’ami Robert Abirached. Le ministre de l’éducation nationale, lui aussi convié, un certain François Fillon, qui professait que la culture était l’affaire des familles, n’avait pas daigné traverser les Champs-Elysées à l’issue du conseil des ministres pour accompagner son collègue…
Ce jour-là, des promesses tangibles, 120 heures reconnues ! Juré, craché, si je mens... Un franc succès ! Ariane Mnouchkine en personne, venue prêter main forte grâce à l’ami Jean-Claude, et qui avait (ac)cueilli le ministre avec ces mots « Mais qui c’est encore celui-là, s’était-on demandé ? » pour mieux, par la suite, le féliciter et le remercier de son engagement, en ressortit rassérénée...Elle avait interpelé le Ministre à sa façon, malicieuse et respectueuse, concrète et réaliste, et à la fin de la rencontre, Jack Ralite, un sourire épanoui sur le visage et qui avait lui aussi pris (brillamment) la parole vint me dire : « Mais...je ne vous connaissais pas !? Vous êtes un grand monsieur ! Il faut qu’on se voie, venez me voir». J’ai passé par la suite une bonne heure dans le bureau de Jack Ralite, on a échafaudé des plans - enfin, surtout lui - et puis on s’est serré la main, c’était bien.
Cette réunion du Rond-Point fut réellement positive. L’ANRAT seule n’aurait jamais pu parvenir à ce résultat, mais peut-être que sans l’ANRAT nulle avancée n’aurait pu être obtenue…
J’imaginais notre action comme une permanente incitation à « forcer le mouvement ». Des régionales, j’avais retiré la conviction que les moyens dédiés à l’EAC étaient peut-être essentiellement à espérer du coté des collectivités territoriales, dont beaucoup s’engageaient de plus en plus clairement et concrètement pour soutenir des projets (en théâtre et dans bien d’autres champs artistiques) susceptibles non seulement de réunir beaucoup d’élèves mais aussi d’en faire éclater la nécessité absolue
Nous avons donc organisé, la grande réunion nationale d’Amiens en 2007 sur la question des « collectivités territoriales et l’éducation artistique ». Un très grand nombre de collectivités ( Conseils régionaux, généraux, communautés de communes, Grandes villes) participèrent à cette réflexion collective…grâce à l’engagement sans faille d’un directeur des affaires culturelles, Jean-Pierre Marcos, et d’un adjoint à la culture de la Ville, très engagée dans un soutien réel (financé) de l’EAC dans ses écoles. Là encore, bien des propos, des suggestions et des dispositions émergèrent, consignées dans une bilan sous la forme d’un fascicule récapitulatif, où l’on pouvait entrevoir ce rêve : une collaboration générale de toutes les strates administratives pour construire ensemble un plan systématique de développement de l’EAC à l’École. A la fin de la rencontre, toutes les coupes bues, le maire m’a invité à prendre un dernier verre dans son bureau (« Ici a été signée la paix d’Amiens ! ») A la question « Pourquoi M. le Maire, ne pas faire au plan national ce que vous faites ici à Amiens et qui est formidable ? » que je lui pose directement, sans préalable et sans malice, voila qu’il me répond, un peu interloqué, après un moment de silence « Mais, cher monsieur, c’est tout simple : je ne peux pas ! » A mon tour d’ouvrir de grands yeux... Il ajoute alors : « Ils n’en veulent pas ! ». Sans autres commentaires. Le maire d’Amiens de l’époque était Monsieur Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale...
Au-delà des grandes manifestations publiques, il y eu d’autres fronts de bataille, tout aussi indispensables à nos yeux pour mieux « servir la cause » et notamment les publications...Trait d’Union - revue associative trimestrielle, les numéros thématiques spéciaux, « Économie de l’éducation artistique » par exemple, les actes des colloques et des rencontres... la collection « Artiste à l’école » (Actes sud) etc… Ces publications avaient débuté par un grand état des lieux sur l’éducation artistique : Le théâtre et l’école ( Actes-Sud /papiers) un volume collectif qui a gardé je crois lui aussi toute sa pertinence aujourd’hui...
Après le départ de Jacques Lassalle, ses deux mandats achevés, comme il avait été convenu entre nous, il fallut partir à la recherche d’un nouveau président. J’avais le désir d’aller convaincre quelqu’un dont la notoriété théâtrale ne lui aurait pas fait oublier sa source, au sein du monde scolaire, son expérience d’instituteur entre autre, aux fondations même, sans doute, de son désir de théâtre...Joël Jouanneau finit par se laisser convaincre. J’en fus très heureux. Mais avant le terme de son mandat il me dit que, décidément, là n’était pas vraiment sa place...il préférait « le terrain » où d’ailleurs il allait revenir et venait de « s’installer », loin de Paris...On chercha alors un nouveau Président et le nom d’ Emmanuel Demarcy-Mota s’imposa très vite …Il accepta de s’y coller...Près de douze ans après il est toujours à son poste.
Durant toutes ces années un rendez-vous annuel, plus orienté vers la recherche, plus confidentiel, et surtout plus centré sur les adhérents eux-mêmes, les séminaires d’Avignon, débutèrent en 2001 à La Chartreuse, avec Françoise Vuillaume, Jean-Claude Lallias, Christian Biet, Jean-loup Rivière, puis à la Maison Jean Vilar avec Yannic Mancel...et la naissance, sous son égide, de ce qu’il a nommé « l’analyse chorale de la représentation ».
Il en est résulté la très précieuse Charte de l’école du spectateur établie par un travail collectif au ministère de la culture, une année durant, par une équipe nombreuse réunie et coordonnée sur propositions de l’ANRAT par nous, à la demande du Ministère et plus précisément de Jean-François Chaintreau, alors directeur de projet chargé de l’éducation artistique et culturelle au Ministère de la Culture (DGCA)…. Le texte définitif, dont j’assumai la rédaction au fur et à mesure des travaux, fut officiellement porté à la connaissance de tous au Théâtre du Nord à Lille, avec Yannic… et tous les autres.
Et puis encore... mais peu importe !
En 2009, dix années après mon arrivée à l’ANRAT, je m’interroge : la situation a -t-elle évolué ne serait-ce qu’un petit peu, vers cette reconnaissance, indispensable à la pérennisation des arts et du théâtre dans le monde scolaire, pour moi l’objectif fondamental de notre association ?
Sans doute oui, mais à la marge. Le but essentiel reste à atteindre. Je pense alors qu’il est temps de céder la place.
Personne ne me le demande, mais tous les signaux commencent à clignoter, y compris des signaux personnels. J’aurai accompli à ce poste un parcours à peu de choses près de même durée que celui de mon prédécesseur. Comme lui sans doute je ressens que quelque chose pour moi est achevé...
Il est temps que d’autres énergies viennent remonter encore et encore le rocher au sommet de la montagne…
Claire Rannou poursuivit à sa façon le travail engagé.
Malgré des contretemps, des échecs sur tel ou tel projet (le fédéralisme, - trop girondin ; une reconnaissance de l’association nationale comme organisme de formation en matière d’éducation artistique partenariale, qui aurait pu ainsi devenir formatrice de formateurs - trop ambitieux - ; le collapsus du Forum Permanent - trop utopique...etc.) je quittai en juin 2009 à la fois l’ANRAT et une vie professionnelle qui s’achevait ainsi, pensais-je alors, dans la demi brume d’un destin pas vraiment accompli.
Mais je laissais selon moi un « héritage » dont je n’avais pas trop à rougir et une succession sur laquelle il était raisonnable de fonder quelque espoir. En fait je n’ai qu’un regret. Celui de n’avoir pas suivi les doutes qui m’assaillaient, depuis ma participation au « congrès IDEA » de Bergen, sur la pertinence et la nécessité de cet organisme international, - L’ANRAT avait contribué à sa naissance quelques dix années plus tôt - sensé réunir, au plan « mondial », les associations nationales comme elle. Idée généreuse mais fausse évidence. Il s’agissait en fait d’un machin gangréné par d’absurdes luttes de «pouvoirs » (sic) et dont je ne cernais pas exactement l’utilité…Quelque temps avant mon départ de ma fonction de « délégué », j’ai fait confiance cependant à mon président, à l’équipe, et à des amis de l’association plus au fait que moi de ces questions, et proposai même que L’ANRAT soit le prochain organisateur à Paris du congrès IDEA en 2012…Le CA confirma cet engagement … Même si au final, celles et ceux qui travaillèrent d’arrache-pied à la réalisation de cette manifestation à hauts risques financiers et politiques s’en sont plutôt plus qu’honorablement sortis, ce qui n’était pas évident , on pouvait s’interroger sur les résultats réels et concrets d’un tel investissement…
En conclusion, force est de le reconnaitre, malgré cette débauche d’énergie et de dévouement de centaines, de milliers d’enseignants et d’artistes durant ces quarante dernières années, malgré l’action associative et partenariale de l’ANRAT avec d’autres associations dans d’autres champs artistiques, et surtout malgré le très grand nombre d’actions formidables menées dans les établissements selon les principes du partenariat enseignants/artistes prônés par l’ANRAT, la cause de l’EAC comme composante régulière et générale du système éducatif ne progresse toujours que très, très lentement, au fil de petites avancées qui remplacent aussitôt d’anciennes dispositions devenues soudainement caduques…
Sur le fond de l’affaire, rien encore - ou presque rien - n’est accompli. Très souvent - et à la fin très systématiquement - au cours ou en conclusion de nos actions, rencontres, réunions, colloques, séminaires, universités d’été… durant toutes ces années, quelqu’un demandait : « Mais enfin, là, on est entre nous, entre convaincus et entre militants, mais regardez autour de vous ! On ne nous voit pas ! On ne nous entend pas ! ça n’avance pas ! Pourquoi ça n’avance pas ? Qu’est-ce qui coince ? Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Jamais je n’ai entendu - ni su proposer moi-même - de réponse vraiment satisfaisante à cette très légitime et très logique interrogation…
J’ai depuis acquis la conviction qu’à cette question, il n’y avait que deux réponses :
Et conséquemment :
Cependant rien ne changera fondamentalement sans qu’un pouvoir politique ne se décide enfin, comme entre 2000 et 2002, à ramasser le flambeau de toutes les tentatives passées et, attentif à toutes les manifestations, projets, réalisations de celles et ceux qui continuent aujourd’hui, concrètement, sur le terrain, à porter l’espérance, ne décide de les suivre, de les encourager, de les distinguer, et à partir d’eux de gagner la conviction et surtout l’engagement de tous.
Une telle volonté, lisible et modeste, serait à coup sûr comprise très vite et gagnerait largement les esprits et les cœurs.
C’est à quoi je sais que l’ANRAT continue de s’employer de toutes ses forces, malgré tous les obstacles , sous la conduite de Philippe Guyard et de sa (trop petite) équipe…
Alors rejoignez-les ! Aidez-les ! Proposez ! Agissez ! Créez ! Provoquez ! Inventez ! Imposez !
C’est par vous et avec vous, par vos actions et vos engagements, que l’ANRAT maintiendra vivante sa raison d’être !
Jean-Pierre Loriol - mars 2023.
Note1 : (Seules les Inspections Académiques départementales par le biais de la formation continue des instituteurs puis des professeurs des écoles étaient en capacité de produire ces formations artistiques…depuis les années 1960… Quelques remarques à ce propos : les choix des disciplines, domaines ou thèmes proposés étaient (sont toujours) du ressort de chaque inspection départementale ; le nombre de stages limités par le nombre de remplaçants (des professeurs-stagiaires en formation) ; la politique éducative orientait les choix … On peut sans difficulté écrire que le théâtre fut rarement considéré comme une nécessité... (Dans le département du val de Marne, depuis 1980, il y avait en moyenne un stage théâtre de 4 semaines par an. A compter de 1999 deux puis les années suivantes 3 jusqu’en 2006 puis 2 jusqu’en 2010 puis un jusqu’en 2014….Grandeur et misère !)
« Quelque chose de l’ordre de la révélation, plus que de la représentation.
En savoir plus
Comme on enlèverait des couches de crasse.
Et quand on a tout enlevé, à la racine, il reste le besoin de créer continuellement des contextes pour que quelque chose se passe, se redistribue, pour que les cartes se rebattent, pour que la lumière entre, pour que l’air circule, pour que les larmes passent, pour que les murs s’éloignent, pour rendre visible l’invisible, marcher sur la brèche et habiter le trouble. »
Anne-Laure Lemaire et Laurence de Sève, Ancestralités, éditions IN VIIVO, Simone-Camp d’entraînement artistique, 2023
A toutes les enseignantes et enseignants qui attendent le car, devant leur établissement, sur un trottoir, un dimanche de pluie, pour emmener bénévolement leurs élèves au théâtre
De 2009 à 2013, j’ai eu l’honneur d’occuper la fonction de déléguée nationale de l’Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale. Nous avions au préalable, avec Caroline Bouvier, découvert cette association en participant au séminaire d’analyse de la représentation théâtrale dans la petite salle voûtée si fraîche de la Maison Jean Vilar durant le Festival d’Avignon. Admirative devant le renouvellement des enjeux de la réception de l’œuvre que constituait l’analyse chorale des représentations auxquelles nous assistions, développée avec tant de brio par Yannic Mancel, accompagné de Jean-Pierre Loriol, délégué national, et de Jean-Claude Lallias, j’étais repartie du festival convaincue de deux choses, en ce qui concernait la suite de ma pratique avec des élèves: l’inanité de toute verticalité descendante, et la vanité des discours argumentatifs et autres jugements prétendument critiques formulés à la hâte au sortir d’une représentation. Plus qu’une découverte, ce fut une révélation, qui ne m’a plus jamais quittée jusqu’à ce jour. Ecouter humblement la pluralité des voix, faire place à la mémoire sensible, suspendre pour un temps le jugement face à une œuvre, comme face à n’importe quelle expérience donnée à vivre collectivement : j’ai reçu là une des plus grandes leçons de démocratie en acte de ma vie.
Comment prendre la suite ? Mes premières prises de parole publiques furent jugées trop peu « testostéronées », ce à quoi je ne voyais hélas guère de remède ; certains militants jugèrent avec nostalgie que l’ANRAT avait perdu sa colère, sa verve, bref son style. Il nous a donc fallu défendre et valoriser l’héritage, autant que s’en défendre, revêtir l’armure, organiser les veilleurs, les conseils, les hérauts, déployer les guerrières et guerriers, puis se lancer à notre tour dans la bataille. A tous les compagnons fidèles et à tous les adhérents de l’ANRAT, MERCI car vous n’avez jamais failli, même aux heures douloureuses. On ne gagne pas tous les combats.
En 2009, la Charte nationale de l’Ecole du Spectateur, initiée par Jean-Pierre Loriol avec les deux ministères de tutelle, devait désormais trouver sa juste reconnaissance. Nous nous sommes y sommes appliqués à travers toute la France, et sans doute y sommes nous assez bien parvenus, puisque son esprit se retrouve dans la circulaire du 3 mai 2013 sur le parcours d’éducation artistique et culturelle de l’élève. Nous avons aussi poursuivi avec ardeur le séminaire du festival d’Avignon, co-animé avec Yannic Mancel, suivi chaque année par un plus grand nombre de stagiaires, et dont le flamboiement devait tant à la programmation Archambaud-Baudriller au sein de laquelle Constance Reygner opérait des choix si avertis.
Au fil de ces quatre années, apporter un regard nouveau s’est traduit par trois principes moteurs : promouvoir la recherche et les nouvelles voix en théâtre et en EAC, poser la question du genre dans les prises de parole de l’association comme dans la lecture des œuvres, entreprendre une grande action-recherche avec des théâtres de l’Ile de France et du Grand Est.
La recherche et les paroles d’artistes furent mises à l’honneur dans le cadre de l’Université d’Automne à la Cartoucherie de Vincennes, dans tous les numéros de la nouvelle revue Continuum, et bien sûr lors de toutes les formations, de toutes les rencontres régionales ainsi qu’au Congrès IDEA 2013 présidé par Catherine Tasca.
La question du genre allait dessiner une ligne de fracture générationnelle autrement plus vive dans nos débats. Veiller à la mixité dans les formations et sur scène lors des rencontres publiques s’avéra moins difficile que d’introduire les travaux de Reine Prat ou de Sylvie Cromer sur les multiples formes de la prééminence du masculin sur nos plateaux.
Enfin, la plus grande transgression hors de l’orthodoxie intellectuelle de l’association revint à l’extraordinaire aventure de Transversarts, action-recherche qui fédéra 40 théâtres d’Ile de France - puis du Grand Est sous l’impulsion d’Adeline Stoffel- pour construire des itinéraires thématiques autour de trois représentations dans trois théâtres différents, accompagnés d’ateliers et de rencontres. Soutenue par la DRAC Ile de France et par les enseignants rédacteurs des outils d’analyse, l’expérience proposait aux jeunes professeurs une idée simple en apparence : choisir un des 60 parcours accompagnés et y inscrire sa classe. Transversarts a démontré la capacité de l’ANRAT à mettre en œuvre la plus grande école de spectateur jamais imaginée et a converti de très nombreux jeunes collègues. MERCI à toutes et à tous les protagonistes de ces années exaltantes.
Et en 2024, où en sommes-nous ? En 2013, la loi pour la refondation de l’école de la République a inscrit dans le code de l’éducation le droit pour chaque enfant de bénéficier d’un parcours d’éducation artistique et culturelle au cours de sa scolarité. Chaque ministre de la Culture fait de l’éducation artistique et culturelle sa grande priorité. L’Etat a multiplié par 4 les moyens financiers dédiés à cette ambition avec l’introduction du Pass Culture. On se réjouit chaque année que davantage de jeunes soient « touchés », passant sous silence une vérité insupportable : certains n’auront pas la chance d’être sauvés de leurs difficultés à grandir en se découvrant par la pratique du théâtre. Il est donc temps de se poser la seule et unique question qui vaille : pourquoi tous les enfants de France n’ont-ils pas la possibilité de faire du théâtre, de s’y essayer, puis peut-être ensuite de le poursuivre par libre choix ? On répondra qu’il n’y a pas de temps dans les emplois du temps, pas d’espace dédié dans les collèges, pas d’enseignants formés ni missionnés, trop peu d’artistes disponibles. Aucun de ces obstacles n’étant insurmontable, il convient sans doute de chercher ailleurs la cause de cette étonnante absence. Ailleurs, serait-ce dans l’essence même du théâtre ? Issu de la tradition des arts populaires, le théâtre se joue des rapports de domination. Il interroge la prévalence dans notre société et nos cours d’école du beau sur le laid, de l’esprit sur le corps, du grand sur le petit, du mince sur le gros, du puissant sur le faible, du riche sur le pauvre, du musclé sur le chétif, du bien-pensant sur le marginal, de l’homme sur la femme, d’une culture sur une autre, de la norme hétérosexuée sur toute autre expression de soi. Le théâtre renverse toujours le dominant, ne serait-ce qu’en déshabillant sa violence des habits de vertu dont elle se pare toujours. Se pourrait-il que sa puissance de subversion nous effraie tant que nous n’agissons pas, quand tout nous indique que l’esprit de haine de l’Autre fait tant de ravages chez les enfants ? Il faudra pourtant bien que nous en ayons, de l’ambition et du courage, pour ouvrir cet espace où chaque enfant dans chaque école, dans chaque collège, pourra venir jouer chaque semaine, sous les regards bienveillants des autres, à renverser l’espace d’un moment le sablier du temps. Et conquérir ainsi la liberté de devenir ce qu’il est.
Claire RANNOU - Metz, le 15 janvier 2024
Parce qu’elle relie deux mondes, celui du spectacle vivant et celui de l’éducation, parce que ces deux mondes, aux premières loges d’une remise en question profonde de certains systèmes de valeurs, sont confrontés aux confusions et aux convulsions inévitablement générées, l’ANRAT ne pouvait rester muette face à certaines modalités des combats menés, notamment après les événements survenus le vendredi 19 novembre lors de la première de Mère de Wajdi Mouawad au Théâtre National de La Colline.
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Rappelons les faits : pendant près d’une heure avant le début du spectacle dont la musique est composée par Bertrand Cantat, les portes du théâtre ont été cadenassées par une vingtaine de personnes. Les spectatrices et les spectateurs ont tout de même pu entrer au compte-goutte sous les banderoles et les invectives déclarant Wajdi Mouawad et les publics complices.
L’ANRAT soutient sans faille la lutte contre les violences faites aux femmes. Quelles qu’elles soient, ces violences sont les pires expressions d’un monde patriarcal.
Agir pour que justice soit toujours rendue est un combat incontestablement légitime ; de même qu’aspirer à la naissance d’un monde nouveau, porteur d’un autre système de valeurs, où l’émotion prend son temps, où l’art par les processus d’émancipation qu’il porte, peut contribuer - entre autres engagements - à réparer le monde.
L’ANRAT déclare toutefois :
Reconnaître le juste combat des femmes n’est pas contradictoire avec le rappel de quelques principes républicains essentiels.
Si l’appel à la censure est aujourd’hui pratiqué par des groupes de pression comme une forme « normale » de revendication, la censure des œuvres renvoie cependant au temps de la répression par un appareil d’État.
Nous continuerons donc, contre vents et marées,
Le conseil d'administration de l'ANRAT
En ces temps incertains où le monde du théâtre et du spectacle vivant regarde son avenir proche avec une forte inquiétude mêlée d’impatience, en ces temps de reprise partielle du cadre scolaire où tous les acteurs des gestes éducatifs s’interrogent avec la même inquiétude responsable, il nous paraît indispensable de réaffirmer la nécessité et les ressources de l’Éducation Artistique et Culturelle.
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L’Éducation Artistique et Culturelle fait partie de l’exception culturelle française. Elle est le fruit d’une longue histoire, qui est née après la première guerre mondiale, a été relancée après la seconde et s’est déployée dans les années 2000. Elle a créé un lien essentiel qui s'est créé entre enfants, jeunes et artistes, entre école et spectacle vivant, sur le terreau de l'éducation populaire. Cette histoire dont la France peut s’enorgueillir conduit directement au plus innovant des projets construits et réalisés ces dernières années partout sur le territoire français entre des structures culturelles, des compagnies, des associations, des artistes, des techniciens, d’un côté, et des établissements scolaires, des enseignants, des éducateurs, des classes, des enfants et des jeunes, d’autre part.
Cette histoire est le résultat d’un militantisme assez humaniste pour croire que l’enfance et la jeunesse méritent le meilleur du théâtre et du spectacle quand, dans le même temps, s’est affirmée la nécessité d’un renouvellement de l’école, puisé aux mêmes sources.
L’Éducation Artistique et Culturelle est indispensable à la bonne santé du spectacle vivant comme elle est indispensable à la bonne santé de l’école. Nous affirmons, et constatons, qu’elle est tout aussi indispensable à la bonne santé du tissu social et de la démocratie et ce sur l’ensemble du territoire.
Tout au long de l’année 2019-2020, ce sont ainsi des dizaines de milliers d’enfants, de jeunes qui ont assisté à des spectacles, qui ont rencontré des comédiens, des auteurs, des musiciens, des danseurs, des circassiens, qui ont lu du théâtre, ont décerné des prix, qui se sont épanouis en pratiquant les arts du spectacle sur un plateau ou dans une classe. Dans le même temps, ce sont des milliers de professionnels qui se sont investis dans des projets partenariaux, y ont consacré du temps, de l’énergie et de l’argent parce qu’ils croient dans la jeunesse de leur art et dans ses vertus intergénérationnelles. Les diverses initiatives déployées durant le temps du confinement en apportent la preuve.
Il n’est pas envisageable que toute cette histoire soit mise à mal dans le contexte actuel. C’est, au contraire, à la consolidation de l’EAC qu’il faut collectivement travailler. Quelles que soient les conditions sanitaires à venir, il faut que la France se montre digne de son exception culturelle et profite de la nécessaire reconfiguration du secteur pour faire avancer l’Éducation Artistique et Culturelle, sans ignorer le passé et donc sans risquer de repartir en arrière en croyant avancer.
Aujourd'hui, dans la situation inédite que nous vivons, il s’agit de répondre à des questions de fond : comment peut exister une véritable rencontre entre les enfants, les jeunes, les artistes, les œuvres ? Comment peut exister une véritable éducation par l'art, celle qui permet l'émancipation de l'individu, quelles que soient les circonstances ? Le geste artistique adressé à l'enfant, au jeune, partagé avec des adultes, est fondateur de la personnalité, au même titre que les autres apprentissages. L'enfant fragilisé par la crise et l'incertitude des lendemains ne peut pas en être privé. Mais ce geste artistique partagé ne peut pas être occasionnel, en dehors de tout vrai projet, ni encore moins occupationnel. Il doit être également réalisé par les artistes dans le cadre du respect du statut qui leur est propre.
Il est donc urgent d'inventer l'EAC post-confinement en préservant un équilibre capital, à la fois dans la continuité de son histoire porteuse de valeurs et en même temps dans la prise en compte du bouleversement où se retrouvent, provisoirement, les artistes, les jeunes et les éducateurs. L'EAC ne peut être ni galvaudée ni amputée de ce qui lui est fondamental. Bien au contraire, elle doit prendre une dimension augmentée : quel sens aurait « voir, jouer, interpréter » si ce triptyque fondateur ne permettait pas à l'enfant actuellement fragilisé à la fois de grandir et de trouver sa place dans la société ? Comment permettre aux enfants de s'épanouir, de rêver, imaginer, créer, de s'interroger et échanger avec les autres au-delà de la peur ? Comment permettre aux enfants, artistes, structures culturelles et éducateurs, ensemble, de croiser leurs visions du monde, d'expérimenter, de participer à une vie collective et d'avoir des expériences sensibles ?
Un chantier partenarial large doit s’ouvrir pour répondre à ces questions.
Forts de notre travail partenarial, nous demandons donc aux trois ministères concernés, Éducation nationale, Enseignement supérieur et Culture, au-delà des dispositifs mis en place pour le mois de juin et l’été, qu’ils s’engagent ensemble et avec nous dans un travail de concertation nécessaire à l’avenir de l’EAC, que ce soit pour ses formes, ses modes de partenariat ou ses conditions de mise en œuvre et de rémunération. Dans le respect de nos diversités et en pleine complémentarité, nous avons beaucoup à apporter et à proposer pour que la rentrée prochaine reste celle de tous les possibles.
Association Nationale de Recherche et d’Action Théâtrale (ANRAT) ;
Collectif « Pour l’éducation, par l’art » ;
Les Écrivains Associés au Théâtre (EAT) ;
Enfance et Musique ;
la Ligue de l’Enseignement ;
Office Central de la Coopération à l’École (OCCE) ;
Scènes d’enfance – ASSITEJ France.
Rejoints par différentes associations dont Amlet, Comète-théâtre éducation en Loire-Atlantique, l’Association ENJEU (Théâtre Éducation Maine-et-Loire)...
Inscrire plus que jamais le spectacle vivant au cœur de l’éducation artistique et culturelle - 9 juin 2020.
La France traverse une longue et durable crise sanitaire qui a révélé les capacités de réaction collective et de solidarité de notre nation, mais aussi les terribles inégalités dans lesquelles se trouvent les enfants de notre République. Comme toute crise grave, celle-ci a accentué les faiblesses de notre École, malgré l’engagement consenti par nombre d'enseignants, d'élèves, de familles, de chefs d’établissement et de personnels territoriaux.
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Ce contexte rend d'autant plus nécessaire une Éducation Artistique et Culturelle qui s’adresse à tous, comme une expérience fondatrice inscrite au cœur même de l’École, des programmes et des évaluations, comme une façon de se (re)construire et d’apprendre. Plus particulièrement, les réussites et les bienfaits de la présence du Théâtre dans l’éducation des jeunes, sont aujourd’hui unanimement reconnus. Ce travail partenarial est salué au-delà de nos frontières comme une remarquable exception propre à la France, porteuse depuis Vilar d’une conviction : comme le gaz et l’électricité, le théâtre est un service public, c’est-à-dire un bien commun, appartenant à tous, nécessaire et indispensable à notre vie, permettant de se découvrir soi-même, de rencontrer la force des œuvres et des auteurs, et d’apprendre dans le partage qu’il n’est d’espace commun que dans la rencontre avec les autres. Au fond, il s’agit d’apprendre à interroger le monde par la force poétique d’un art de la présence à soi et aux autres, que ce temps de crise paradoxalement rend encore plus urgent et désirable que jamais.
Certes nous n’ignorons pas l’importance du virtuel et du numérique dans la découverte et l’approche du Théâtre par les jeunes. Loin d’opposer théâtre en présence et théâtre enregistré, l’ANRAT a toujours considéré que la captation d’une création, comme source d’interrogation, d’exploration et de mémoire, est un substrat pour de nouvelles activités avec les élèves. Toutefois la puissance de l’expérience des arts du spectacle, et du théâtre en particulier, repose sur l’impératif d’une présence partagée et réelle. Nous ne devons pas renoncer à cette joie du partage « pour de vrai ». Nous ne devons pas renoncer à l’importance de la présence, même si nous devons aussi aménager et inventer des dispositifs pour des raisons sanitaires. Qu’y soit préservée la force du théâtre quand il fait événement.
Plus que jamais les élèves et les jeunes ont besoin d’éprouver les plaisirs que procurent les œuvres de création, ils ont besoin de donner du sens aux temps qu’ils traversent, ils ont besoin d’émotions partagées que l’isolement ou la distance pourraient empêcher. Plus que jamais, alors que certains se sont éloignés de l’École pendant de nombreuses semaines, ils ont besoin d’apprentissages stimulants qui concernent le corps, l’espace, la parole et la langue partagée. Aussi, forte de son expérience et des très nombreux soutiens qu’elle reçoit de grands professionnels du théâtre, de pédagogues et de chercheurs, l’ANRAT demande la mise en place d’un ambitieux et urgent plan d’Éducation Artistique et Culturelle où le théâtre en partenariat aura plus que jamais toute sa place.
Le bureau de l’ANRAT sous la présidence d’Emmanuel Demarcy-Mota